Un souvenir vivace me tient lieu d’assise. Mon livre “de lecture” en classe de CE2, celui qu’on lisait à voix haute. Ce livre était vieux, abîmé, jauni et son récit plutôt aride (une sombre histoire de vagabond traînant ses guêtres sur un terrain vague). Simplement, lorsque la maîtresse demandait qui souhaitait lire un passage, je me serais déboîté les deux bras pour qu’elle me choisisse. Ainsi, avant d’aimer lire, j’ai aimé lire à voix haute des récits arides parlant de garçons perdus sur des terrains vagues devant toute une classe.
Et puis, des années après, devenue grande et éducatrice, j’ai rencontré les albums jeunesse. J’ai ressenti les mêmes sensations fortes qu’à l’époque du livre de lecture. Je ne me démettais plus les membres supérieurs pour avoir le droit de lire à voix haute, mais je cherchais le public, petits et grands pour lui lire mes histoires. Je ne les avais pas écrites, mais je les aimais tellement qu’elles devenaient de fait “mes” histoires. L’écriture n’aurait sans doute pas trouvé sa place dans mon existence sans ce désir impérieux de lire à voix haute les mots des autres, sans l’amour fou pour les textes en bouche.
Aujourd’hui, j’écris, je lis à voix haute ce que j’écris, et je recommence depuis le début, dans un perpétuel mouvement vertigineux, merveilleux, douloureux, désireux. Toujours.